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Réforme des modes d’accueil : pour tout comprendre

Débat parlementaire réforme  des modes d'accueil de la petite enance
Publié le 24/09/2020
Laetitia Delhon
Journaliste spécialisée dans le travail social et médico-social, la petite enfance et le handicap
ESSOC, ASAP, ordonnances, délai d’habilitation : difficile de suivre la réforme des modes d’accueil en cours depuis plus de deux ans. Alors qu’elle revient sur les bancs de l’Assemblée nationale, le point sur les enjeux et le calendrier.

Tout a commencé par une volonté politique, six mois après l’élection du président Emmanuel Macron : simplifier la relation des français aux services publics, moderniser l’action publique, introduire de la souplesse dans les arcanes de l’administration. Le projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance (ESSOC) déposé le 27 novembre 2017 à l’Assemblée nationale comprend 40 articles, dont l’introduction du droit à l’erreur ou la dématérialisation de l’ensemble des démarches administratives à l’horizon 2022. Mais pas la réforme des modes d’accueil.

Le gouvernement décide de l’introduire dans le wagon de la loi Essoc le 23 janvier 2018 par un amendement déposé lors de la première lecture du texte à l’Assemblée nationale. L’article 26 bis prévoit que « dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnances, dans un délai de dix-huit mois suivant la publication de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi, afin de faciliter l’implantation, le développement et le maintien de modes d’accueil de la petite enfance ».

 

Bras de fer politique

Un bras de fer commence alors avec les sénateurs, où les partisans d’Emmanuel Macron ne sont pas majoritaires et où siègent notamment Laurence Rossignol, ancienne ministre de l’Enfance et Michelle Meunier, fine connaisseuse du secteur. Les sénateurs, qui goûtent peu à la volonté du gouvernement de légiférer par ordonnances - une procédure qui permet d’aller plus vite et de court-circuiter les débats au Parlement, par ailleurs très fortement utilisée sous la présidence de François Hollande - , suppriment l’article 26 bis.

Sans surprise il est réintroduit en deuxième lecture par l’Assemblée nationale et devient l’article 50 de loi Essoc promulguée le 10 août 2018. Le gouvernement dispose alors d’un délai d’habilitation de 18 mois pour légiférer par ordonnances sur les modes daccueils.

 

Longue concertation

La Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), antichambre d’État du ministère des Solidarités et de la Santé, lance donc fin septembre 2018 une vaste période de concertation avec les représentants de l’accueil du jeune enfant. Statut des MAM, dérogations pour accroître la capacité d’accueil, accompagnement en santé, rôle des RAM : de nombreux points importants pour l’exercice de l’accueil individuel sont examinés. Ils font parfois l’objet d’âpres négociations, voire de mobilisation.

Ce travail aboutit en mai 2019, avec un satisfecit global des représentants de l’accueil individuel, qui peuvent transmettre jusqu’en juillet 2019 leurs derniers remarques à la DGCS. A charge pour la direction générale de finaliser le document de travail devant permettre au gouvernement de rédiger les ordonnances : le projet baptisé Norma est rendu public en décembre 2019. La publication des ordonnances est annoncée pour la fin janvier 2020 ou au plus tard février, délai maximal prévu la loi d’habilitation.

 

Coup de théâtre

Mais coup de théâtre : le gouvernement fait savoir que les ordonnances ne seront pas publiées à temps. Des bruits courent dans la presse selon lequel le Conseil d’État, organe chargé de contrôler l’ordonnance en amont, aurait trop de travail en raison de la réforme des retraites. Difficilement crédible, voire « impensable » selon nos sources, tant les conseillers d’Etat sont habitués à travailler jour et nuit dans les périodes les plus denses.

Alors que s’est-il passé ? L’équipe de Christelle Dubos, alors secrétaire d’État en charge des modes d’accueil, reste muette sur le sujet. Crainte d’une mobilisation des professionnels de crèche, sous la houlette du collectif Pas de bébés à la consigne, dans un moment de tension sociale ? Volonté d’attendre les travaux parallèles de la commission des Mille premiers jours, lancée par le président Emmanuel Macron ? Dissensions au sein du gouvernement, notamment entre les cabinets des secrétaires d’État dont les compétences se croisent dans le champ de l’enfance ?
 

Nouveau wagon : la loi ASAP

Le gouvernement trouve rapidement un autre wagon législatif : le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) examiné le 5 février 2020 au Sénat. L’article 36 prolonge de douze mois (à compter de la promulgation de loi) le délai d'habilitation permettant au Gouvernement de prendre par ordonnance les mesures d'ordre législatif relatives aux modes d'accueil des jeunes enfants.

Selon l’exposé des motifs, ce délai supplémentaire permettra l'adoption simultanée de l'ordonnance et des textes réglementaires liés, mais aussi « de laisser la possibilité de compléter le projet d'ordonnance préparé en 2019 par d'autres mesures d'ordre législatif qui pourraient être proposées à l'issue de la réflexion […]sur les « Mille premiers jours » et au terme de la mission en cours de l'Inspection générale des affaires sociales sur l'évolution des missions des services de la protection maternelle et infantile en matière d'accueil du jeune enfant ».
 

Nouveau bras de fer

Mais l’article 36 de la loi ASAP est de nouveau supprimé par les sénateurs, sous la houlette de Laurence Rossignol et Michelle Meunier qui déposent un amendement. Parmi les motifs : « l’habilitation à prendre des nouvelles mesures par ordonnances fait peser des soupçons sur le contenu final de ces dispositions, d’autant que leur périmètre inclut désormais le champ des services aux familles et son pilotage local qui pourrait être placé sous la responsabilité du préfet ».

L’examen du projet loi, interrompu pendant la crise sanitaire, a repris le 14 septembre en commission spéciale à l’Assemblée nationale. Le 17, Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, est venu défendre avec succès l’amendement du gouvernement visant à réintroduire le projet d’ordonnances. Le projet de loi ASAP arrivera donc en séance publique à l’Assemblée nationale à partir de lundi 28 septembre.
 

Mobilisation associative

Le gouvernement ayant engagé la procédure accélérée sur ce texte, il devrait convoquer une commission mixte paritaire en cas de désaccord sur certains articles. Les sénateurs vont-ils de nouveau bloquer le projet de réforme par ordonnances ? Lundi 21 septembre, huit fédérations, dont l’UFNAFAAM et l’UNIOPSS, ont défendu le maintien de l’article 36, dans un communiqué commun. «Même si des points de la réforme demeurent objet de désaccord et de discussion, les acteurs de l’économie sociale et solidaire plaident pour que certaines dispositions entrent rapidement en vigueur. La crise sanitaire a, par exemple, exacerbé les besoins d’un référent de santé, d’un pilotage territorial ou d’accueils en horaires atypiques ».

Interrogée par L’assmat, la sénatrice Laurence Rossignol déclare : « Ma préoccupation c’est la qualité d’accueil du jeune enfant et le statut des professionnels. Si les acteurs de la petite enfance nous disent qu’il faut autoriser le gouvernement à légiférer par ordonnances, je ne vais pas m’opposer aux professionnels. Mais je continue de penser que le gouvernement aurait dû ne pas dessaisir le parlement de ses compétences législatives sur ce projet ».
 

Médecine du travail

Pour l’UFNAFAAM, l’adoption de l’article constitue un enjeu important pour les assistantes maternelles. « Il crée une médecine du travail et prévoit de faciliter l’exercice de l’accueil individuel grâce à différentes modalités, qui répondent à de nombreuses demandes des assistantes maternelles. Pour autant certaines mesures doivent être rediscutées, par exemple pour l’accompagnement en santé des enfants pour lequel rien n’est prévu pour l’instant ».

Que contiendra le nouveau projet d’ordonnances, comment sera-t-il amendé, modifié ou renforcé par rapport à la version de décembre 2019 ? « Aujourd’hui le rapport des 1000 premiers jours est rendu, il va largement dans le sens de ce que nous défendons pour l’accueil collectif et beaucoup moins dans le sens du projet d’ordonnances, en particulier sur le taux d’encadrement et la formation des professionnels » souligne Pierre Suesser, co-président du SNMPMI et membre du collectif Pas de bébés à la consigne.
 

Consultations au ministère

Le secrétaire d’État Adrien Taquet consulte actuellement les organisations du secteur de l’accueil du jeune enfant. Il devrait prochainement préciser les orientations retenues pour ce projet entamé depuis maintenant deux ans et demi.