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Acquisition du langage chez l'enfant : plus complexe qu'il n'y parait...

Acquisition du langage chez l'enfant
Publié le 04/02/2021
Catherine Piraud-Rouet
Journaliste spécialisée en puériculture et éducation
Une étude américaine récente montre que contrairement à ce que pensait la communauté scientifique, les bébés ne sont pas capables de distinguer les consonnes des voyelles. En réalité, ils sont surtout sensibles aux sons globaux de la langue qui les entoure.

Etape-clé dans l'éveil et le développement du bébé, l'acquisition du langage est toujours suivie de très près par les parents et les personnes chargées de l’accueil des enfants. Mais les grands jalons de l'acquisition du langage ne sont pas forcément ce que l’on pensait. C’est ce que révèle une étude de chercheurs de l’université du Maryland (Etats-Unis) publiée début février dans la revue PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences).
 

Les bébés « câblés » pour apprendre à parler dès la naissance

On savait, de longue date, que l'exposition à la langue maternelle se fait dès la grossesse et qu'en naissant, les enfants reconnaissent non seulement la voix de leur mère, mais sont aussi sensibles à la prosodie (la musique et le rythme) de la langue. Les circuits cérébraux du nouveau-né lui permettent d’être « câblé » pour apprendre dès ses premiers jours.
 

A partir de 12 mois, les sonorités inutiles ne sont plus reconnues

C’est vers 12 mois seulement que l’enfant se spécialise dans sa langue maternelle et se ferme à certaines distinctions inutiles dans le développement de celle-ci. En effet, tous les pays n’utilisent pas les mêmes sonorités en matière de langage. Toutefois, jusque-là, l’opinion communément admise par la communauté scientifique était que le phénomène d'apprentissage phonétique précoce des bébés reposait sur le regroupement des sons en catégories phonétiques de type voyelle (vers 6 mois) et consonne (vers 9 mois). Un mécanisme connu sous le nom d'apprentissage distributionnel. Une certitude remise en question par une étude récente d’une équipe de chercheurs de l’université du Maryland.

Une modélisation numérique du mode d’apprentissage des bébés

A l’origine de l’expérience, les doutes des chercheurs sur le bien-fondé de ce mécanisme jusqu’ici entériné par la communauté scientifique. « Les hypothèses sur ce qui est appris par les nourrissons ont traditionnellement guidé les chercheurs dans leurs tentatives de comprendre ce phénomène surprenant, explique Thomas Schatz, auteur principal de l'étude. Nous proposons de partir d'hypothèses sur la façon dont les nourrissons pourraient apprendre. »

Les chercheurs se sont appuyés sur un cadre de modélisation basé sur une simulation à grande échelle du processus d'apprentissage du langage chez les nourrissons. Pour ce faire, ils ont conçu un algorithme capable de simuler le processus d’apprentissage des nourrissons (machine learning) et permettant de relier systématiquement les mécanismes d'apprentissage à des prédictions vérifiables concernant l'adaptation des bébés à leur langue maternelle. 
 

Pas de distinction voyelles-consonnes

Le logiciel, formé à l’anglais et au japonais grâce à des échantillons de voix, devait permettre de répondre à deux questions : comment expliquer les différences observées dans la manière dont les nourrissons apprennent le japonais et l'anglais en discriminant les sons de la parole ? Surtout, les modèles discriminent-ils vraiment les catégories phonétiques des voyelles et des consonnes ?

Pour la première question, les modèles informatiques ont pris en compte la difficulté observée des bébés japonais à distinguer certains mots à cause des sons trop proches. Par exemple, le japonais ne fait pas la distinction entre les sons « R » et « L », comme dans « roc » ou « loque ». De ce fait, à un an, les bébés immergés dans un bain de langage japonais distinguent moins facilement les mots « roc » et « loque ». Pour la seconde en revanche, ils se sont rendu compte qu’il était impossible pour les machines (calquées, donc, sur le rythme d’apprentissage des enfants) de distinguer les voyelles des consonnes. La découverte remet donc en question tous les savoirs préexistants sur l’apprentissage phonétique précoce.
 

Dans l’attente de nouvelles découvertes… ne rien changer !

Tout ce dont on est sûrs à l’heure actuelle, c’est que les bébés apprennent à parler de manière naturelle et instinctive, rien qu’en écoutant parler autour d’eux. Dans l’attente de nouveaux travaux approfondissant cette découverte, il n’y a donc rien à changer. Aujourd’hui comme hier, il y a lieu de laisser les bébés apprendre à parler à leur rythme, en favorisant seulement une atmosphère chaleureuse de dialogue autour d’eux