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Accueil individuel : « trop d’exigences et pas assez de moyens »

Adrien Taquet
Publié le 14/10/2020
Laetitia Delhon
Journaliste spécialisée dans le travail social et médico-social, la petite enfance et le handicap
Le secrétaire d’État en charge de l’enfance et des familles Adrien Taquet revient pour L’assmat sur le rapport des 1000 premiers jours et le projet de réforme des modes d’accueil. En regard, nous avons fait réagir les organisations professionnelles.

Réforme des modes d’accueil

La proposition de loi ASAP actuellement examinée à l’Assemblée nationale devrait, à l’issue de la commission mixte paritaire programmée le 21 octobre, aboutir à la réforme d’accueil.

« Nous pourrons mettre en place des dispositions concertées et pour la grande majorité consensuelles, même si certaines nécessiteront encore des discussions du travail et feront l’objet d’arbitrages de ma part, indique Adrien Taquet. Je prendrai vite des décisions sur les derniers points en suspens pour conclure ce chantier attendu par les professionnels depuis très longtemps. Mais il existe aujourd’hui globalement un consensus en faveur d’évolutions pour le bien des enfants, des parents et des professionnels ».

Parmi les avancées de cette réforme, il cite la facilitation de l’accès à la formation continue, l’inscription dans la loi de la charte d’accueil et l’accès des assistantes maternelles à la médecine du travail. Mais pas plus d’annonces pour l’instant. « J’attends que l’article 36 soit définitivement adopté, et le Gouvernement donc dûment habilité à conduire cette réforme, pour pouvoir faire des annonces concrètes. Donc pas d’impatience et d’inquiétude, les mesures sur le volet des modes d’accueil sont devant nous ».
 

50 heures supplémentaires

Parmi les mesures déjà annoncées dans la presse grand public : la mise en place d’une semaine d’accueil supplémentaire par mois. « L’idée, c’est que demain grâce à la loi ASAP les assistants maternels pourront accueillir un enfant de plus une semaine par mois – pour être très précis 50 heures dans le mois – sur simple déclaration, sans accord préalable du président du Conseil départemental, affirme Adrien Taquet. Il s’agit d’introduire de la souplesse à la fois pour les parents et pour les professionnels. Cela leur donnera la possibilité de pouvoir accéder à la formation, d’offrir du répit à un collègue si besoin, et permettra à des parents, par exemple, d’avoir une solution pour passer un entretien d’embauche. Il n’y aura aucune obligation à cet accueil supplémentaire, c’est une simple possibilité supplémentaire qui sera ouverte ».
 

Formations « Enfance-Egalité »

Les formations destinées aux 600 000 professionnels de l’accueil du jeune enfant, qui attendent leur déploiement depuis leur annonce voici deux ans dans le cadre de la Stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, s’articuleront autour de sept modules issus de la charte nationale d’accueil : le langage, les arts et la culture, l’alimentation et la nature, l’accueil occasionnel, l’égalité filles-garçons et la diversité, les relations aux parents, la place du numérique. Ces journées interprofessionnelles « Enfance-Egalité » « se dérouleront dans les lieux ressources de proximité comme les Relais d’assistantes maternelles (RAM), mais aussi des médiathèques ou des relais parents-enfants. L’objectif est que l’ensemble des professionnels de la petite enfance puissent participer d’ici 2022 au moins à une formation s’inscrivant dans le plan » indique-t-il.

Charte d’accueil

La charte nationale d’accueil du jeune enfant aura quant à elle vocation à être appliquée dans chacun des modes d’accueils. « L’objectif à terme est qu’avant de donner un agrément à un assistant maternel, de le renouveler ou de donner une autorisation d’ouverture à un EAJE, on s’assure que la charte est connue, que les professionnels s’en sont appropriés les grands principes - et je sais qu’une grande partie des assistants maternels les appliquent déjà » poursuit-il.
 

Monenfant.fr

Enfin sur le sujet très sensible de l’obligation d’inscription au site monenfant.fr, inscrite dans la loi ASAP, Adrien Taquet indique que « le sens de cette plateforme consiste à permettre d’une part aux parents d’avoir une vision plus claire et plus fluide de l’offre d’accueil à leur disposition, et d’autre part aux assistants maternels de pouvoir, pour certains, accéder plus facilement à des parents employeurs. Cela me semble aller plutôt dans le bon sens et à l’avantage des uns et des autres ».

Il ajoute avoir fait évoluer le texte. « D’abord, oui les assistantes maternelles devront s’inscrire sur mon-enfant.fr – pour que les parents puissent les connaître – et oui il faudra donner son adresse – pour qu’au moins une indication de distance par rapport au domicile des parents soit donnée – mais non il n’y aura pas d’obligation à ce que l’adresse soit publiée. Ensuite, le fait de ne pas renseigner ses disponibilités ne sera pas à soi seul un motif de retrait d’agrément ».

Quant à l’autre difficulté majeure avec monenfant.fr, son manque d’opérationnalité soulevé par de très nombreuses professionnelles, qualifié par le ministère de « manque d’ergonomie », Adrien Taquet dit avoir conscience avec la Caisse nationale des allocations familiales « que le service actuel ne donne pas satisfaction ». Il annonce qu’un chantier de rénovation du site est actuellement mené avec des parents et des assistants maternels volontaires.
 

Réactions de la profession

« A l’ouest, rien de nouveau, de la part d’un secrétaire d’État qui affichait de grandes ambitions lors de sa prise de fonction, réagit Stéphane Fustec, représentant national de la CGT services à la personne. C’est de la poudre aux yeux, très mal venue en ce moment dans ce contexte sanitaire où sur le terrain c’est l’enfer, on les laisse toutes seules, sans prime, sans aides de la CNAF. Il y a une colère énorme, je ne pense pas que le ministère en prenne la mesure ».

Les 50 heures supplémentaires ne font pas l’unanimité : la CGT y est très opposée, y voyant un « piège pour mieux gagner sa vie » empêchant de pousser à une revalorisation salariale, mais d’autres y sont favorables. « C’est une mesure très intéressante surtout pour les départs en formation, ou lorsqu’une professionnelle est malade, et sur simple déclaration c’est presque inespéré » réagit Véronique Delaitre, référente nationale de FGTA-FO. Même satisfaction pour Marie-Noëlle Petitgas, présidente de l’Anamaaf : « nous avions plaidé pour cette mesure qui va introduire beaucoup de souplesse pour les professionnelles ».
 

Bémol sur les 50 heures

Deux organisations mettent toutefois un bémol. « Je crains un effet pervers du côté des services de PMI qui utiliseront cet argument pour restreindre l’agrément à trois accueils maximum », réagit Liliane Delton, secrétaire générale de l’Unsa-Pro Assmat. « Nous allons rencontrer des problèmes avec la PMI qui y verra un dépassement d’agrément » redoute Nathalie Dioré, secréatire générale de la CSAFAM.
 

Obligations supplémentaires

L’agrément conditionné à l’appropriation de la charte nationale d’accueil ? Toutes les organisations estiment que les assistantes maternelles la mettent déjà en œuvre, et certaines redoutent là aussi des effets pervers. « C’est une nouvelle obligation qui pourra mettre très en difficulté certaines professionnelles pour s’exprimer à ce sujet lors du renouvellement d’agrément face à la PMI. Cela va donc nuire à l’employabilité » regrette Sandra Onyszko, porte parole de l’UFNAFAAM. « Il existe déjà un référentiel national, pourquoi ne pas obliger toutes les PMI à la prendre en compte plutôt que chaque département fasse comme il l’entend ? » interroge Lydia Loisel, secrétaire générale du Spamaf.
 

Monenfant.fr : toujours l’incompréhension

Quant à la plateforme monenfant.fr, « ce n’est toujours pas clair du tout » souligne Véronique Delaitre. « Dire " ce n’est pas à soi seul un motif de retrait d’agrément ", cela veut dire que c’est un motif de retrait d’agrément, nous persistons dans notre analyse » poursuit Lydia Loisel. « C’est comme pour la charte, c’est une obligation supplémentaire. C’est donc une constante : en direction des assistantes maternelles, il y a trop d’exigences et pas assez de moyens » regrette Sandra Onyszko.